Circlesquare – Songs About Dancing And Drugs



I decided that the dog was probably killed with the fork because I could not see any other wounds in the dog, and I do not think you would stick a garden fork into a dog after it had died for some other reason, like cancer for example, or road accident…







J’avais parlé de Circlesquare dans l’article traitant du dernier Portishead. Pas pour une ressemblance musicale quelconque, loin de là. Mais pour cette atmosphère émanant de Third, impossible à décrire. Une ambiance de mort. De renoncement. Pas de dépression ou de noirceur factice. Non, un abandon absolu. Abdiquer timidement, sans misérabilisme. Baisser les bras, se soumettre à la noirceur du monde, et s’en foutre.
Le premier album de CircleSquare, “Pre-earthquake Anthem” sorti en 2003, fut une grande claque. Attiré par l’objet car vendu par je ne sais quel magasine comme un rejeton de Mezzanine de Massive Attack, (Ce qui est completement faux, si l’on excepte la ligne de basse de 7 minutes ressemblant vaguement à Angel). Je m’attendais à tout sauf à tomber sur un disque pareil. Une musique dépouillée, écorchée, sombre et lumineuse à la fois. Une musique où un gringalet égrène une voix spectrale sur des beats électro cradingues et des cordes de guitare anémique ( Panda Bear à coté, c’est Satriani). Avec autant de silence que de notes. Une plongée en apnée dans une cave, dans un esprit tordu, presque reduit à l’état de légume, ne se rappelant que de ritournelles éparses, gimmicks remplaçant peu à peu dans son cerveau enfumé les souvenirs de sa famille. Un vrai petit chef d’oeuvre, qui faisait mourir d’ennui toutes mes connaissances, mais qui me fascinait, jusqu’à parasiter mon discman lors des nuits les plus longues, à l’instar d’un Plastikman ou d’un Rythm & Sound. Avec une devise d’une pertinence absolue, seule notation de la pochette : Best heard from the floor.


Puis (presque) plus de nouvelle de Jeremy “Circlesquare” Shaw, si l’on excepte un ep introuvable (qui contient l’énorme Fight Sounds). Toujours voulu parler de ce type dans ces pages, sans en avoir le temps, sans jamais tomber sur la bonne occasion. On oublie alors presque l’artiste, qui se résume à un disque bien trop étrange et profond pour être ressorti tous les deux jours. Et voila qu’au détour d’une nouvelle page de magasine, qui taxe le bonhomme de nouvelle révélation (Hein ?!?), on apprend que Circlesquare est de retour sur un nouvel album, au titre évocateur, Songs about dancing and drugs. Un grand malade.













La pochette du précédant essai impressionnait par son style épuré et sombre. Ce nouvel album se calque en négatif sur le premier, éclatant d’un blanc parfait, orné d’une simple ampoule cassée, et de l’implacable slogan habituel au verso, Best heard from the floor. Rien de plus. Cette ampoule, qui semblait peinturlurée de noir avant d’être défoncée, est parfaite. Car chez le Canadien, même la lumière est nuit. Que les allergiques du premier disque se rassurent, Circlesquare a donné un peu d’énergie à sa musique. Rien de méchant hein. Mais on peut maintenant parler de rythme, là ou cette notion frisait l’ubuesque sur le précédant opus.









Le premier titre, Hey You Guys, entretiendrai presque l’illusion d’un Circlesquare tourné vers le soleil. Un soleil bouffé de mélancolie, comme celui d’un dimanche matin, après une nuit blanche, dernier moment de bonheur entre potes avant de partir vers de nouveaux horizons. Le morceau est presque pop. Les notes sont belles. La voix de Jeremy Shaw est assurée. La guitare grince, mais reste constamment soutenue. La gratte, un synthé étrange, et le chant, point barre. Le refrain est beau. Epuré, minimaliste, mais beau. Un rythme sourd vient se greffer au tout, comme si le chanteur se mettait à taper sur la table de ses poings, à intervalles réguliers. Le titre s’enrichit peu à peu, s’engaillardit, ravi de poser le pied dehors, de voir un ciel bleu et des gens qui sourient en tenant leurs mioches dans les bras. Break sombre, on hésite, l’envie de ramper vers l’endroit sombre sous le porche nous tenaille. Mais tout bascule, Circlesquare part dans une ascension absolue, éblouissante, cristalline, où guitares se mêle aux synthés angéliques pour un shoegaze mutant, flirtant avec le sublime. On plane, on vole entre les nuages, on tourne au ralenti sur soi même en ouvrant la bouche pour avaler la pluie avant d’apercevoir un arc en ciel, comme dans la fin des films américains. On se laisse couler au milieu d’une eau azur, pure comme la mort, un sourire zébré sur le visage. Putain c’est tout simplement magnifique.


Mais alors que l’on se lâche sur cette ascension des dieux, Dancers nous file un violent coup de planche derrière la tête. Pour nous traîner dans une cellule, habitacle forcé pour écouter Circlesquare. Ce titre pourrait être le plus controversé du disque, celui qui affolera les passions ou qui se posera comme élément rédhibitoire. Le rythme est prenant, électro-déglingué, cassé, piétiné. Claquant comme un coup de talon. Jeremy Shaw y est implacable, déclamant un texte étrange. Le tout noyé sous des larsens nauséeux et autres paraboles noisy. Ca tremble de partout. La cave se transforme en rave illégale dans un immeuble abandonné, avec pour seule lumière un projo honnis par la propreté. Toi t’es dans un coin, à regarder ce petit monde gesticuler, baver. Une foule esquintée, échinée, perdue dans ses chimères opiacées. Certains tombent, et ne se relèvent pas, trop occupés à ne pas mourir sous les convulsions. D’autres baisent salement contre un mur noirci par la sueur. Certains lèchent le sol, à la recherche d’une seringue maladroitement égarée. Le groove claudiquant commence à faire son effet. On frôle l’envie de se mêler à la foule. De se frotter au malin. Circlesquare assène de sa voix grave des People in the back, people in the dark, people by the door, people to the left, people on the roof, people on the floor / Where world is the better place, it’s the better place / Everybody start to dance, now we’re all dancers. Il halète comme un chien, il interpelle en mode vicié, il parasite le tympan. La salle est vide. On est à semi-mort, le nez dans la merde, sans souvenir des minutes passées, sous l’effet de la musique, à se tordre comme un possédé.










Timely du haut de ses 8 minutes (les morceaux sont longs, oscillant tous entre 5 et 13 minutes), semble se prévaloir d’un écrin plus posé. On se veut enfin bienveillant. Le premier tiers repose simplement sur des claquements de doigts et une guitare douce, agréable, à la mélodie caressée. La voix est claire, chaleureuse, emplie d’échos. Un beat perle, sec, débarque en catimini. Un grondement se fait entendre, crade. Le ton de Jeremy Shaw se fait plus grave. Il répète une phrase en continue, fin de vinyle déclamé éternellement. Ca tremble, ça vrombit, avant de s’éteindre sur une saturation indus. Le chant se transforme en incantation désespérée. Fin du combat, on dépose les armes et on compte les cadavres.

On erre sur le champ de bataille, cherchant une âme encore pure dans ce marasme. Music For Satellites est peut être la composition se rapprochant le plus des élucubrations de Pre-earthquake Anthem, completement décharnée, avec sa première moitié ne reposant que sur une parabole sombre, et une voix spectrale. Rien d’autre. Lugubre. Pourtant, le tout cultive l’apesanteur. Cosmonaute dérivant dans le néant, mais rassuré en passant en revu les souvenirs de ses gamines, sautillants autrefois sur ses genoux. Alors on dérive. On se laisse porter par ses vagues opaques et nébuleuses. Mais un rythme surgit, completement nécrosé, déchiré, implosant façon coeur de vieillard mendiant en fin de vie. Ce rythme, vicié, déviant, s’apparente à un seau de boue versé sur votre gueule. Complètement incongru dans le tableau, puis rapidement naturel car maculé de merde. Circlesquare se bloque encore sur une phrase, I gat lost out there est répétée en boucle jusqu’à péremption. Superbe.

On étoufferait presque, à racler les cendres de la sorte. Alors le bonhomme nous balance un Ten to One plus enlevé, partant des le début sur les chapeaux de roues, avec un métronome régulier, électro pernicieuse mais presque domptable sur une piste de dance, si l’on a pris assez de came. Bon, ce n’est pas non plus la fête d’anniversaire de mon petit cousin, et la voix est toujours désincarnée, sépulcrale, même si le refrain frise le tube. Le dernier tiers est à tomber, la mélodie virevoltant sur un texte déclamé d’une façon énorme, des synthés sont de plus en plus appuyés, tourbillon electro-dance souillé par la dépression.









L’autre titre à jouer sur cette dualité allégresse / abdication est l’alien Bombs Away, Away démarrant sur des notes de guitare nauséeuses chères à Circlesquare, pour partir dans un simili-gospel percuté par une basse électro caverneuse et des handclaps biens méchants. On se laisserait presque aller à la gaieté, mais le tout bascule sur une trompette mortuaire, completement isolée, noyée dans les reverbs des cordes du départ. Le mec de tout à l’heure, errant sur la terre dévastée, n’a pas retrouvé de compagnon d’infortune au milieu des corps labourés, et se rabat sur sa trompette pour lancer un dernier hommage. On verserait presque une larme. Très beau. D’une classe folle. Mais completement saugrenu. Presque dérangeant.

Surtout que l’introduction de notre patient suivant, Stop Taking (So Many), semble rechapée des ballades alcoolisées de Jamie T, toute guillerette avec ses pouet et son chant candide. Mais genre 30 secondes hein, parce qu’après cette ouverture, le titre s’enfonce dans un long toboggan mélancolique, où seul un piano aigu, des bidouilles électro lancinantes et une voix détachée vont glisser, tournant sur eux-mêmes, se répétant indéfiniment.

La galette se terminera sur le marathon All Live But The Ending, longue plage flirtant avec le quart d’heure. Et ce ne sont pas d’interminables nappes de synthés qui peupleront cette longue échappée, mais un rythme au groove de folie, Techno minimale poisseuse, viciée, vrillant au grés des minutes, copulant avec la voix de Mr Shaw, en roue libre, haletant ou scandant ses paroles sur des bleeps de plus en plus pressants. La sauce monte, on se croirait dans une rave passée en slow-motion, un clavier superbe accompagne la tranquille cavalcade, on se laisse happer par le brouillard, on se balance de droite à gauche comme un zombie en manque de poumon à croquer. La lobotomie fait son travail de sape. Et le morceau se déroule, avance sans faillir, si l’on excepte quelques bugs. On croirait presque entendre une pièce linéaire, pourtant le tout prend de plus en plus de corps au fil des minutes, devenant massif, étouffant, imposant. La panique commence à nous étreindre, la gorge se serre, mais le morceau déboule, claque, les synthés s’envolent, le rythme tonne, le train se rapproche, inflexible, avant de foncer dans un tunnel bourré d’échos et de larsens devenus dingues, crissant dans nos tympans. Seule une gratte acoustique toute flinguée survivra, entonnant sa dernière sérénade, avant de se barrer et nous laisser seul, comme des cons, décharnés, morts de faim, rongés par l’humidité, implorant une étincelle, enchaîné au mur de la cellule de fortune.







Jeremy Shaw habite toujours dans sa cave crasseuse sur ce nouveau disque. Il a juste fait installer une petite fenêtre. Que l’on n’ouvre pas. Jamais. Seule utilité : profiter d’un mince filet de lumière, avant de continuer à pourrir dans la poussière.

La musique de Circlesquare incarne le moment précis où la balle a quitté le pistolet, mais n’a pas encore écrasé votre tempe. Le moment précis où tout s’arrête, avec pour seule lumière une poignée éparse de souvenirs vous giclant à la gueule.


Le temps est long. Circlesquare en profite. Grand disque.










Mp3 :


Circlesquare – Dancers (short version)











Circlesquare – 7 Minutes











Circlesquare – Fight Sounds
Extrait du Fight Sounds EP









8 Titres – !K7
Dat’








  1. wony, visiteur Says:

    Ca a l’air terrible !! Bien sombre ! Et dancer est vraiment bien.

    Le clip de 7 minutes me fout vraiment mal a l’aise…

    PS : Nouveau EP de Clark le 23 mars 😀

  2. ShinobiOfGaming Says:

    Ah ben je constate que je suis pas le seul à flipper sur le clip de 7 minutes. J’allais justement dire qu’il était bien anxiogène. ^^

  3. LOD, visiteur Says:

    Bordel, c’est quoi ce clip de timbré ?

  4. janvier18 Says:

    Merci Dat’, j’allais l’oublier ce disque, la preuve j’ai raté sa sortie lol (le honte, j’suis vraiment à la ramasse mdr)
    Super chronique comme d’hab !
    (et quel rythme effreiné, j’ai pas le temps de suivre 😀 )

  5. res-o, visiteur Says:

    Super chronique, j’adore les mots que tu emplois pour décrire le disque. La première fois que je l’avais vu en live, ce fut à Sonar…. grand moment, fight sounds avec sa basse apocalyptique m’avait complètement hypnotisé… Du coup, on ne peut pas passer à coté de cet album…

  6. Dat' Says:

    ahah c’est sur que le clip est vraiment bien foutu, assez marquant, si on fixe bien le truc…

    Wony ==} What ? enorme nouvelle ça ! mais impossible d’avoir plus de details, tu as un lien sur cette sortie?

    Sinon Dancers est bien cool yep, mais là c’est une version courte, la version de l’album, fleurtant avec les 6 minutes, est plus dans la progression, c’est encore mieux !

    Janvier & Res-o ==} Merci ! Ouaip sinon, album à pas louper, vraiment. Meme s’il faut forcemment adherer au trip, sous peine de partir en courant au bout du 3eme morceau…
    En Live, ça doit etre assez énorme effectivement.

  7. wony, visiteur Says:

    Some exclusive news for you… Clark has raised the bar and delivered us some of his biggest club tracks to date in the form of a new EP due March 23rd entitled ‘Growl’s Garden’!

    Expect a killer mix of styles between Body Riddle’s rich depth and some more slamming tracks a la Turning Dragon. It also sees Clark integrating the use of an otherwordly vocal line in the title track for the first time!

    Ca vient de la news letter de Warp.

    La couv : http://www.warprecords.com/image.php?id=23459

  8. Dat' Says:

    Raaah énorme ça… en plus, ce n’est pas un petit Ep si j’en crois le Tracklisting… Merci pour l’info…

  9. Tao, visiteur Says:

    Egalement pas mal oppressant le clip de Sub-Reminisce, j’adore et suis une fidèle de tes superbes chroniques…

  10. Dat' Says:

    Ah oui oui bonne idée de le rappeler, excellent clip et tres belle simages, toujours hypnotique…

    Il parait que le type passe des videos pendant ses lives qui meritent le détour aussi…

    Tant qu’à faire, la video de “Non-revival alarm” est trouvable sur youtube, et tres bien foutu aussi… comme tout ce qui semble émaner du gars d’ailleurs…

  11. Ktin, visiteur Says:

    ouh là là je sens que ça va me plaire ça!!!

  12. Ktin, visiteur Says:

    ça y est c’est fait, je bloque sur “Hey you guys”… et le reste!! scotchant

  13. Dat' Says:

    ahah pareil pour Hey You Guys, commencer un disque par une montée pareille, c’est balaise. Surtout que le morceau est assez lumineux, ça participe au sombre contraste de la suite !
    Je sens que ce disque va m’accompagner pendant une bonne partie de l’année…

  14. mn, visiteur Says:

    Ah ah gros coup de foudre pour ce groupe !

    Ma petite vision de circlesquare : http://blog.marionnothing.fr/?p=406

  15. janvier18 Says:

    Ayé je l’ai enfin reçu et écouté en boucle, et ben gros, gros coup de coeur, vraiment, pour tout, pas de fausse note, maissurtout pour le dernier morceau, magnifique, au final dantesque, et celui avec les trompettes (lol).
    Franchement un des meilleurs disques de ce début d’année pour moi : personnel, cohérent, équilibré, plein d’émotions et vraiment prenant 🙂
    (et au fait super chronique comme d’hab, mais c’est tellement normal qu’on oublierai presque de te le dire lol)

  16. Dat' Says:

    Ouai le dernier morceau est vraiment énorme ! Parfait pour marcher la nuit, dans la rue…

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